Un bout d’histoire d’Adissan

Focras de Laneuville, un maire novateur

En 1811, le préfet impérial le nomme comme maire d’Adissan, en remplacement d’Antoine Raimond Enjalvin, gravement malade. Jean Genieys, propriétaire à Adissan, est nommé comme adjoint. Denis Victor Focras de Laneuville et Jean Genieys resteront à leur poste durant 20 ans, jusqu’à la chute de Charles X en 1830. Un seul intermède : la période des Cent Jours où ils seront démis de leurs fonctions pour avoir refusé de prêter serment à l’empereur.
Homme s’occupant avec zèle de l’administration, Denis Victor est dévoué à la cause du roi, humble et conciliant, selon les termes des rapports préfectoraux. Pour preuve, le 27 septembre 1817, le premier édile d’Adissan et son conseil inaugurent le buste de Louis XVIII, dit Louis le Désiré, placé dans la salle du conseil. Quelques années plus tard en 1820, une délibération condamne fermement l’assassinat du duc de Berry. Une partie du chemin de Nizas actuel est baptisée du nom de Ville-Bourbon, en l’honneur de la famille royale.
Denis Victor de Laneuville se consacre aussi au bien public. En 1818, le conseil municipal rappelle que le grappillage est autorisé pour les seuls indigents et seulement après les vendanges. De plus, les troupeaux ne peuvent entrer dans les terres qu’à la suite du passage des glaneurs, râteleurs et grappilleurs. Sans autoritarisme détestable, Focras va gérer la commune intelligemment. L’étalement du village a débouché sur la construction de nombreuses maisons, magasins et remises hors des murs d’Adissan et sur la création de quatre nouvelles rues, remplies d’ornières et d’eau croupissante en hiver où un enfant de trois ans s’est noyé en 1820. C’est pourquoi entre 1821 et 1826, lui et son conseil s’attaquent au pavement de certaines artères, dont un chemin qui devient la nouvelle rue Saint-Antoine, actuellement rue Pasteur. Elle est empierrée dans toute sa largeur en forme de gondole et légèrement relevée des deux côtés. Une solide rigole est implantée en son centre. En septembre 1826, les travaux de pavement de la rue de Saint-Jean, alias Grand-rue (actuellement Jean Moulin) sont entrepris par la municipalité Focras de Laneuville. A l’occasion des travaux de la rue Saint-Antoine, Focras-Laneuville ordonne l’élargissement de la rue de la Fontanelle actuelle. Pour y parvenir, la municipalité acquiert un terrain où se trouvent les ruines des remparts, dont une partie fut démolie en 1788. Les restes de muraille existants (16 mètres de long, 2,3 mètre de haut et 4 mètres d’épaisseur) sont alors détruits.

Deux ans auparavant, en 1824, le maire d’Adissan avait fait don à la municipalité des terres contenant une source et bordant le chemin bas d’Aspiran, tènement de Lous Cresses, près de la vigne de la Rouvière. Cette source, anciennement appartenant à la chapellenie, s’écoulait dans quatre gloriettes avant d’alimenter la nouvelle fontaine publique, érigée sur le plan du château, par aqueduc souterrain, appelé canonade.
En 1827, le conseil municipal se saisit à nouveau du déplacement du cimetière et demande à ce qu’il soit transféré où il se trouve actuellement, chemin de l’Estang. La cause principale de ce nouveau déplacement, à en croire Denis Victor Focras de Laneuville, est que le terrain est insalubre et « son sol aquatique ».

Le maire a aussi œuvré pour le maintien et même l’agrandissement de l’église Saint-Adrien. En 1817, le conseil municipal reconnaît expressément que l’église est trop petite pour contenir tous les fidèles, dont le nombre augmente régulièrement. Grâce aux nombreux dons des Adissanais, la municipalité engage rapidement les travaux nécessaires. Il est construit une tribune, les vitraux sont remplacés, l’église est blanchie et une balustrade en fer forgé est placée tant à la tribune que devant le chœur. De plus, une nouvelle croisière est placée à droite du sanctuaire. Le 5 septembre 1830, quelques jours avant de démissionner de sa fonction de maire, Denis Victor Focras de Laneuville, fait adopter la décision de réparer une nouvelle fois le toit de l’église. Ce dernier menace de s’écrouler sur la voûte ce qui aurait pour conséquence de l’entraîner dans sa chute et de blesser de nombreuses personnes.

Le 2 août 1830, Charles X abdique et le duc d’Orléans, Louis-Philippe Ier, monte sur le trône le 9 août. Le 11 août, le conseil municipal d’Adissan adopte à son tour le drapeau tricolore et en pavoise les édifices publics.
Le changement de régime officialisé, un incident va donner l’occasion au maire d’Adissan de se retirer. Dans la nuit du 14 au 15 août 1830, des personnes détruisent la banquette de pierre qui entoure la maison de Focras de Laneuville et déposent des matières fécales devant sa porte d’entrée. La même chose est faite contre l’adjoint du maire, Jean Genieys. Profondément touché, le 19 août, Denis Victor Focras de Laneuville donne sa démission au préfet, tout en réitérant ses vœux de succès au nouveau roi des Français. Le dimanche qui suit, soit le 22 août, à la suite de la messe et entouré de son conseil, il annonce tant sur la place publique, que devant la mairie ou encore aux quatre carrefours de la commune, la montée sur le trône du nouveau roi. Le 22 septembre 1830, le préfet lui signifie l’acceptation de sa démission du poste de maire.

Ainsi, la Révolution l’a effleuré et progressivement, l’Empire l’a attiré à lui. Il lui a permis, par la fonction de maire, d’intervenir dans la vie communautaire plus directement que ne le lui permettait son ancien état. Après 1789, il n’a certes pas recouvert les privilèges qui contribuaient à son prestige, mais il a bénéficié de l’éclat que fournissent la possession de la terre et le savoir intellectuel. Attaché au roi, la Restauration l’a maintenu en place pour le bonheur de ses concitoyens. Son influence, au début du XIXe siècle, est restée intacte dans une société majoritairement rurale. Le régime électoral, censitaire, favorable aux propriétaires fonciers, lui a procuré les honneurs de la politique et des fonctions dans l’administration. Il aura œuvré dans cette première partie du XIXe siècle pour le village d’Adissan. Sa politique locale aura été présente sur tous les fronts. Il aura géré les gros chantiers comme le déplacement du cimetière, la rénovation de l’église, la mise en place de la voirie actuelle et l’adduction d’eau aux fontaines du village. Il aura intelligemment travaillé à un redécoupage partiel des limites communales avec Fontès et Paulhan et aura accompagné la viticulture naissante. Il aura préservé l’espace qu’occupait l’ancien cimetière, sur la place du Griffe actuel, en envisageant d’y bâtir une nouvelle mairie. Avec goût et pertinence, le couple Focras et Genieys a su se compléter et mener le village dans le nouveau siècle.